UTMB 2014. Finisher ! … mais contre performance.
L’ultra trail est une discipline dure et exigeante : il suffit qu’un élément parte en sucette pour que tout le reste de la course soit compromis. Démonstration.
Vendredi 29 aout, 16h30.
Une heure avant le départ, la place au pied de l’église de Chamonix commence à être prise d’assaut par des hordes de trailers bariolés rejoignant le portique de départ. Entre les blagues à 2 balles, les coups d’œil incessants sur le topo et les questions inutiles du type « Le Ravito n°5 il est à 44 ou 45 km ? » on rentre dans une atmosphère fébrile … Adossé à une marche, je passe le temps en observant les gens et leur matériel. Certains portent le catalogue Salomon 2014 sur eux et je souris en les imaginant entrer dans la boutique « Bonjour, je voudrais la tenue Killian s’il vous plait ? » et y laisser des sommes à 4 chiffres (avant la virgule les chiffres, hein !).
Quand les enceintes commencent à cracher le fameux titre « Conquest of the paradise » de Vangelis, tout semble se cristalliser pendant quelques secondes. Au compte à rebours fini, c’est le départ sous la pluie pour la meute hurlante prête à en découdre. A travers les rues de Chamonix certains me doublent avec des vitesses d’avions de chasse … bon, « on part pour 40h de course les gars ! Vous êtes au courant ? ». Vu les conditions météo, je modifie un peu mon planning de course : la première descente sur Saint Gervais est une piste de ski herbeuse et vu la rincée qu’on se prend (il pleut des seaux depuis le départ) je me vois mal passer après 1000 coureurs … Zipettes dans la boue assurées. Du coup je décide de pousser sur les bâtons (et tirer la langue) pour entamer la descente glissante avant le passage du gros du peloton.
Km 21. Saint Gervais. 2h35. J’ai un peu d’avance sur le planning mais pour sauver mon coccyx – et son enrobage – je me devais de passer dans les « premiers » pour la première portion de cette descente. Etienne s’est décidé au dernier moment de venir aux premiers ravitaillements. Ça fait vraiment plaisir de le voir. J’avoue que concentré dans l’effort je me suis contenté de répondre sobrement à ses questions et je le quitte rapidement avec la promesse de le voir au prochain ravito des Contamines.
10km pour 300m de D+. Autant dire que ça monte pas très vite. Je sais qu’il faut se forcer à trottiner sur les parties légèrement ascendantes pour garder l’impression d’avancer. Il pleut des seaux … chacun est muré dans sa Gore Tex … et, toujours en short, l’eau a atteint le point critique : le caleçon . Ambiance !
Km 31. Les Contamines. 4h 08. Je gère le temps « like a boss » : je perds doucement l’avance prise au tout début de la course et me retrouve dans les clous du planning prévisionnel. Etienne est encore là. Sur-motivé, il m’accompagne toujours quelques centaines de mètres avant et après le ravitos et son enthousiasme est communicatif. Je sens que lui aussi courrait bien s’il le pouvait. UTMB 2015 ? 2016 ?
Après les Contamines le terrain monte doucement et je continue de trottiner jusqu’à Notre Dame de La Gorge où le vrai terrain montagne commence. Tout heureux, je reconnais le sentier d’approche que j’avais pris avec Estelle lorsque nous avons fait les Dômes de Miages l’été dernier. La pente raide de la montée vers Balme me sourit et je passe mon temps à doubler d’autres concurrents. Certains semblent déjà épuisés et j’en croise quelques uns recroquevillés sur le bord du chemin. Pas cool pour eux surtout qu’on a pas encore passé le quart de la course.
Km 40. Balme. 5h36. Juste le temps de prendre un morceau de fromage coincé entre deux Tuc, je repars direct. La montée vers le refuge de la Croix du Bonhomme est une procession sinueuse incessante de frontales. C’est juste beau et je suis content d’être une partie infime de ce spectacle. La suite du parcours est enchaîné avec sans trop de problème, avec tous les anciens comptes rendus de course lus, je sais où sont les pièges et les endroits où il faut un peu se donner pour pas se traîner dans du faux plat et attaquer le mental.
Km 60. Col de la Seigne. 9h57. Il est 3h30 du matin. Une tente éclairée, un groupe électrogène et quelques bénévoles survoltés qui se balancent d’un pied sur l’autre pour se réchauffer à 2500m. « Ici c’est l’Italie » « Forza Italia » … pas de doute, je viens de passer la frontière et la Suisse est dans « seulement » 40km. J’entame donc la descente vers l’Italie plutôt serein. Les sensations physiques sont hyper bonnes, je ne ressens pas de fatigue et le terrain se prête vraiment bien à la course.
S’ensuit alors un peu de tricotage dont j’ai peu de souvenir à part qu’il faisait nuit et que je me suis contenu pour pas partir trop vite et respecter mes prévisions. Descente vers le Lac Combal (Km 65. 10h30) puis remontée à l’arête du Mont Favre (Km 69. 11h42) puis redescente pour enfin arriver à Courmayeur.
Km 78. Courmayeur. 13h. Le ciel commence à s’eclairer mais le soleil n’est pas encore apparu quand j’arrive à Courmayeur. La dernière descente est bien pentue, c’est mauvais pour les genoux mais bien pour le mental – au moins on voit l’altimètre descendre ! Quand je rentre dans le gymnase je croise plusieurs coureurs qui ont l’air bien entamés et sont aidés par leur amis+famille qui ont fait le déplacement. C’est toujours particulier comme spectacle de voir des gars d’une trentaine d’année se retrouver comme des enfants, le regard un peu dans le vide se contentant de répondre courtement aux questions, aidé par sa mère pour changer de tee-shirt ou de voir sa femme lui changer les chaussures.
Moi j’ai personne pour le ravito et je changerai de chaussettes tout seul (Ouais, chui un bonhomme ! … En fait c’est surtout parce que j’ai découragé mes supporters de venir ici vu la complexité pour faire l’assistance de ce coté ci du Mont Blanc). Du coup je prend un heure pile pour me changer – les sacs d’allègement ont été amenés ici – et bien me restaurer. Prévoyant j’en profite pour dormir une 15aine de minute histoire de reposer le corps et l’esprit. A force d’avoir lu et relu des comptes rendus je sais que la course démarre vraiment ici (certains vont même jusqu’à dire : « si tu veux finir l’UTMB, il te faut des jambes neuves à Courmayeur« ).
Je suis à la moitié de course en 14h. Mes jambes ne sont pas neuves (faut pas abuser non plus !) mais les sensations sont excellentes. Pas de gênes, pas d’ampoules, pas de douleurs. La fatigue et le sommeil – qui m’avaient tiraillé sur l’UT4M – ne se sont pas encore fait sentir. Si je m’en tient à mon planning, le projet de finir la course en 35h se tient bien. C’est donc tout heureux que je repars de Courmayeur avec l’image de Chamonix dans la tête … Quelle innocence !
Après Courmayeur le tracé se raidit assez vite pour se retrouver dans « un escalier » menant au refuge Bertone. Ça grimpe sévère et le cardio tape très fort. La fraîcheur de la nuit disparaît car le soleil est levé depuis quelques temps, ça commence à clapoter des aisselles et dans les chaussures ! Miam miam. Je passe au refuge Bertone (Km 82), fait le grand plein d’eau et repart bien humide sur le sentier qui tricote avec pour objectif Arnuva (Km 95).
C’est alors que je ne comprends pas trop ce qui m’arrive mais sur ce sentier j’ai ultra chaud et devient rapidement dégoulinant – pourtant la température extérieure ne dépasse pas encore les 20°. Sur ce sentier qui n’arrête pas de monter et de redescendre « je prends cher ma race » comme disent les jeuns’.
Depuis 3 km j’étais devenu légèrement sensible des pieds mais là, la douleur est intenable. Je m’arrête, enlève mes chaussette complètement moites et découvre des débuts de crevasses sous le cuir des pieds. Sur le moment je ne sais pas que cela me coûtera la course mais je suis bien dégoûté. Je prends le temps de bien les sécher et les strap « à mort ». Au moment de remettre les chaussettes humides je comprend que je dois finir la course avec les pieds moites, échec critique.
Clopin-clopant je tente de repartir mais le verdict est sans appel : plus j’avance plus j’ai mal sous les pieds et à ces blessures de $#%?!. Je me rends compte alors que la course devient impossible mais que la marche, appuyé sur les bâtons, est jouable jusqu’au prochain ravito.
Km 95. Arnuva. 17h47. Mais qu’est ce que c’était long ! Les pieds sont douloureux et j’ai du trouver des positions ou mes appuis étaient différents. J’ai grave la rage mon frère ! Affalé sur une table poiseuse, l’idée de l’abandon fait surface dans mon esprit et je me fait violence pour rester objectif dans ma décision de continuer (ou non).
C’est un peu dur de décrire ce qui peut se passer dans un cerveau dans ces moments là. La longueur de l’effort, l’isolement – cela fait 15h que je n’ai vu un pote ou de la famille, la fatigue, l’ambiance, ce qui nous reste d’objectivité, la douleur des membres, l’amour propre (surtout!) … tout se mélange dans mon esprit embué pour savoir si je décide de rendre maintenant mon dossard ou pas.
Je prends finalement la décision de continuer (t’as vu le suspense ?!? ) en marchant. En me penchant sur le topo je sais que si je marche j’arriverai au bout avant les barrières horaires. Je me résigne et fais une croix sur mes belles ambitions de chrono. Maintenant je ne joue plus le temps, je joue la ligne d’arrivée.
La suite de l’UTMB (oui il restera encore 80km) sera pour moi une très longue marche presque sans discontinuer, les descentes restant les portions les plus dures. Je m’arrêterai peu au ravito pour ne pas que mes membres se refroidissent. La course étant impossible pour moi, je me fais doubler par des wagons entiers de coureurs dans les portions descendantes. Le mental en prend un coup mais le défilement inlassable, lent certes mais inlassable, des kilomètres me donnera la volonté pour continuer à marcher – comme un pingouin 🙂 – vers Chamonix.
Km 123. Champex. 24h15. Pas de réseau ! Argh ! Je veux joindre Estelle pour lui donner quelques explications. Elle doit me suivre sur internet et a du comprendre que quelque chose n’allait pas. Je veux juste la rassurer, lui dire que je prendrais un peu plus de temps que prévu mais que le reste va bien. Je profite de m’être arrêté pour changer les straps sur mes pieds. Les crevasses dans le cuir n’ont pas bougé mais restent toujours douloureuses au toucher au quand je pose le pied de manière innaproprié. Par contre le marche a au moins eu le bénéfice de faire sécher l’intérieur de chaussures. Je prends quelques minutes pour me restaurer et reprend ma procession. La deuxième nuit de la course n’est plus très loin et je sais que la fatigue et l’endormissement peuvent surgir très rapidement.
Quelque part vers le Km 130. Me voila dans la fameuse montée vers Bovine. Les rumeurs disaient vrai : c’est pas un truc de Minus et je tire la langue. Les pentes descendantes étant tellement éprouvantes pour mes pieds je suis content de trouver du dénivelé positif. Un groupe de vaches barre l’itinéraire et je me retrouve à taper les bâtons et gueuler comme un âne pour tracer le chemin au milieu du troupeau. Pas de doute c’est pas un marathon sur goudron ici 🙂
J’ai rapidement pu joindre Estelle et lui dire que tout allait presque bien. L’entendre dire – en pleine nuit au milieu de nulle part – qu’elle me fait confiance pour la suite de la course me rassure.
Km 140. Trient. 29h11. La redescente vers le ravito fut l’horreur. Seul dans la nuit à descendre pas à pas, appuyés sur les bâtons (que j’ai 1000 fois bénis). Même si mon classement ne m’intéresse plus j’ai quand même perdu 50 places sur 600m de D- . Erf … La nuit est bien installée, j’ai encore une « grosse bosse » de 700m de D+ à passer et je sais qu’Etienne sera là à m’attendre au ravito.
Descente vers Vallorcine. Je descends aussi vite qu’un escargot asthmatique … mais je descends. J’ai la conviction de passer la ligne d’arrivée. Je sais que ça prendre plus de temps que prévu mais je sais que je le passerai. J’ai maintenant trouvé les positions pour éviter de presser les zones douloureuses des pieds mais cela engendre des gênes dans le trio cuisses-genoux-cheville.
En mode automatique (avec le cerveau débranché 😉 ) je mets plusieurs secondes a réagir quand j’entends une voie qui appelle mon prénom au milieu de la nuit. Etienne est là, il a décidé de remonter un peu pour m’accompagner dans la descente vers Vallorcine. Je ne sais pas quel spectacle je lui offre mais je dois bien être déchiré. Saturday Night Fever !
Km 150. Vallorcine. 33h 47. Je m’offre 15 minutes de sieste et repart rapidement. Je ne veux pas traîner et veux rester dans l’ambiance de la course. Mon conditionnement mental a marché jusque là et je veux en profiter. Encore une petite grimpette de 900 D+, une gosse descente de 1100 D- et Chamonix sera là.
La montée à La tête aux vents est relativement vite avalée. Comme je n’avance pas très vite, je consomme moins d’énergie et j’ai encore de la ressource. Arrivé au dernier sommet de la course je suis heureux. Mon pari a tenu, je finirai la course dans les temps. Pas dans mon temps certes mais je serais allé au bout.
Je ne décrirai pas la dernière descente, certainement la plus dure pour le physique et le mental. 4h pour descendre 1000m. 200 places en moins 🙁
L’ambiance est au rendez vous à Chamonix et les dernières centaines de mètres sont pleines de supporters. Je m’étais imaginé 1000 fois cette arrivée, courant les bâtons en l’air, les cheveux (et la moustache) dans le vent alors que j’arrive plutôt comme un petit papi marchant appuyé sur ses bâtons pour enfin passer la ligne tant attendue après 41h37 d’effort. Ouf !
Conclusion, je confirme les « rumeurs » qui disent que l’UTMB c’est roulant. Comparé à d’autres trails que j’ai pu courir voici une liste (personnelle) de caractéristiques de l’UTMB :
- Il y a beaucoup de portions avec des chemins larges qui permettent de doubler facilement ou courir à deux de front.
- Les chemins sont plutôt propres (pas de racines à outrance ou de portions ultra-rocailleuses)
- Le dénivelé, positif ou négatif, est plutôt réparti en pente douce. Bon j’avoue c’est assez relatif comme notion, mais on ne se retrouve pas à grimper des raidillons avec 1000D+ pour 4km.
Pour finir je suis (un peu) déçu de mon résultat en demi teinte. Je suis finisher mais il a suffit qu’un petit truc foire dans mes pompes pour transformer le reste de la course en « marche pour survivre ». (J’exagère à peine 🙂 )
Ouais je suis un gros râleur! Certains rêvent de passer la ligne et je me plains déjà alors que j’ai maintenant cette superbe polaire verte sans manche ! Bref, je trouve juste dommage de pas avoir pu finir comme prévu et j’ai le sentiment d’avoir boucler le tour « à l’arrache ». Surement une bonne raison de revenir l’année prochaine ?!
Pour les amoureux des chiffres :
- 168KM et 9600 mètres de dénivelé
- 23 checkpoints
- Temps du premier : 20:11:44
- Barrière horaire : 46:00:00
- Nombre de coureurs au départ 2434 dont 200 femmes
- Nombre de finishers 1578 dont 114 femmes
- Total des abandons : 856
Crédits photos :
- The North Face
- Salom Running
CR trop bon.. comme svt… Bravo pour les crocs….
point bonus mdr : » Certains portent le catalogue Salomon 2014 sur eux et je souris en les imaginant entrer dans la boutique « Bonjour, je voudrais la tenue Killian s’il vous plait ? » et y laisser des sommes à 4 chiffres (avant la virgule les chiffres, hein !). »++
Génial ton CR Phil, super plaisant à lire, tu nous fait vivre trop bien tes sensations !!!
bref GG pour le récit…et pour la course aussi 😉
salut Phil
BRAVO d’abord pour la lutte que tu as mené
il où il y a une volonté il y a un chemin !! c bien vrai donc !
dans le fond c bien, tu pourras revenir l’an prochain avec un objectif plus gd
bravo pour faire, et raconter !
A+
Bravo champion!!! c’est super tu n’as rien lâché, c’est vrais ton CR très plaisant à lire.
Très bonne description de l’ambiance de course, et des sensations que l’ont retrouve sur la plupart des ULTRA! Merci de nous avoir fait vibré.
J’ai vécu ton combat tant ton écriture est riche, belle, ciselée … j’ai mal aux pieds, j’ai froid et je suis crevée ! allez ! je vais me reposer …. Merci Philippe pour ce magnifique témoignage 🙂